Salariés espionnés : peine "exemplaire" requise contre Ikea France

30 mars 2021 à 12h35 par Iris Mazzacurati

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CC BY offenburg
Crédit : Ikea France est jugée pour avoir mis au point un système de surveillance de ses salariés et parfois

Deux millions d'euros contre l'enseigne et un an de prison ferme pour l'un de ses anciens PDG ont été requis par le parquet de Versaille, ce mardi 30 mars. Ikea France est accusé d'avoir espionné plusieurs centaines de salariés.

Une peine "exemplaire", après cinq jours d'un procès fleuve parfois houleux : L’enjeu est celui "de la protection de nos vies privées par rapport à une menace, celle de la surveillance de masse", a déclaré la procureure Paméla Tabardel devant le tribunal correctionnel, en demandant que la réponse pénale soit un "message fort" envoyé à "toutes les sociétés commerciales".

"Ikea France n'est pas la seule" à avoir eu recours à ce type de pratiques de surveillance, a affirmé la procureure. Vendredi, Ikea France s'était défendue, assurant être "en opposition" avec ces méthodes.

Révélée par la presse puis instruite en 2012, cette affaire a mis au jour un système de surveillance, des salariés et même parfois des clients, bien rôdé ; des antécédents judiciaires au train de vie en passant par le patrimoine.

Outre Ikea France, quinze prévenus physiques se sont succédé à la barre pour raconter leur version des faits, dont d'anciens dirigeants d'Ikea France, des directeurs de magasins mais aussi des fonctionnaires de police et le patron d'une société d'investigations privée.

Mardi, la procureure a demandé des relaxes pour deux dirigeants : l'ancienne directrice des ressources humaines Claire Héry, qui encourait jusqu'à dix ans d'emprisonnement. "Les éléments sont insuffisants, mais nous ne sommes pas dupes", a commenté la procureure.

Elle a aussi demandé la relaxe pour Stefan Vanoverbeke, PDG d'Ikea France de 2010 à 2015, contre qui il n'y avait finalement "pas d'élément matériel".

En revanche, elle a requis trois ans d'emprisonnement dont deux avec sursis pour son prédecesseur, l'ex-Président directeur général Jean-Louis Baillot (1996-2009).

"Je souhaite une peine qui marque la vie de Jean-Louis Baillot", a expliqué la procureure, affirmant que la "politique initiée" par l'ancien responsable avait affecté la vie de près d'au moins 400 salariés ayant fait l'objet d'"enquêtes privées".

Les prévenus comparaissent pour des faits commis entre 2009 et 2012, même si ces pratiques illégales remontaient au début des années 2000, selon la procureure, qui a regretté que seules trois années aient été retenues dans ce dossier pour des questions de prescription.

Par ailleurs, elle a soulevé la question de l'éventuelle corruption des fonctionnaires de police mis en cause, pourtant "évacuée" par le parquet dans son réquisitoire introductif. "Je ne dis pas qu'il y a eu de la corruption, mais je ne vous dis pas qu'il n'y en a pas eu. Cela pose question dans ce dossier".

Malgré ces "imperfections" relevées dans le dossier, Mme Tabardel a demandé au tribunal de saisir "la chance d'analyser et de réprimer des pratiques" de surveillance "clandestines", soulignant que rares étaient les poursuites pénales engagées dans ce domaine.

Des "Contrôles de masse"

Depuis le 22 mars, le tribunal de Versailles s'efforce de remonter le fil de cette vaste affaire dite d'espionnage.

L'ancien "Monsieur sécurité" d'Ikea France, Jean-François Paris, est le seul des dirigeants à avoir reconnu à la barre des "contrôles de masse" d'employés. Le parquet a requis un an de prison de ferme à son encontre (trois ans, dont deux avec sursis).

"On peut louer (aujourd'hui) son effort d'honnêteté et de transparence (...) mais ce n'est pas un lanceur d'alerte", a commenté la procureure.

A la barre, M. Paris a répété avoir suivi une consigne formulée en 2007 par l'ex-PDG Jean-Louis Baillot, des dires formellement contestés par l'intéressé.

Directeur de la gestion des risques d'Ikea France de 2002 à 2012, Jean-François Paris transmettait des listes de personnes "à tester" à Eirpace, dirigée par Jean-Pierre Fourès. Le patron de cette entreprise spécialisée "en conseil des affaires" est notamment accusé d'avoir, par l'entremise de policiers, eu recours au STIC, le Système de traitement des infractions constatées, ce dont il s'est défendu.

Cet ancien des Renseignements généraux (RG) avait provoqué l'hilarité de la salle lors de son interrogatoire, quand il avait expliqué avoir usé "d'imagination et ingéniosité" pour se renseigner, via des enquêtes de voisinage et une utilisation idoine de Google. A son encontre, le parquet a requis une peine de deux ans d'emprisonnement, dont un an avec sursis.

Le procès se poursuivra avec les plaidoiries de la défense dès mardi après-midi.



(Avec AFP)