Dépendance aux smartphones : « Dès qu’on désinstalle nos notifications, la journée est beaucoup plus calme »

17 février 2023 à 6h00 par Hugo Harnois

Photo d'illustration - En moyenne, on passerait environ 5h par jour sur nos smartphones
Photo d'illustration - En moyenne, on passerait environ 5h par jour sur nos smartphones
Crédit : Pixabay

C’était le 6 février dernier la journée mondiale sans téléphone portable. L’occasion de nous intéresser à nos pratiques et notre dépendance liée au smartphone.

Tout le monde est concerné : nos portables font partie intégrante de notre quotidien. Selon certaines études, on passerait environ cinq heures par jour sur ces objets connectés. Comment expliquer que l’on passe de plus en plus de temps sur nos smartphones ? Les réponses de Catherine Lejealle, sociologue : « on en est arrivé là pour deux raisons très simples. On avait des freins financiers et techniques qui ont été entièrement levés. Les communications comme les SMS coutaient cher et il n’y avait pas forcément du Wifi gratuit partout. Puis il y a aujourd’hui une profusion de différents types de réseaux sociaux. Ajoutées à cela davantage de fonctionnalités dans chaque réseau et les notifications, qui créent des tentations permanentes. »

 

Des troubles de plus en plus nombreux

Face à ce constat, les professionnels de santé tirent la sonnette d’alarme. Les maladies et les troubles associés à nos portables sont de plus en plus nombreux, qu’ils soient d’ordre physique ou mental. On peut citer les troubles du sommeil, l’anxiété, des douleurs cervicales ou même des tendinites, à force de pianoter sur smartphones. Mais pour la sociologue, auteure aussi de J’arrête d’être hyperconnecté, le pire trouble reste le celui de l’attention : « les gens s’en plaignent car ils n’arrivent plus à se concentrer. Si on est dérangés toutes les trois minutes, le cerveau ne peut pas zapper d’un contexte à l’autre. On travaille mieux sans interruption pour se concentrer. »

Il y a également le « ringxiety », lorsque l’on a l’impression d’entendre une notification ou une sonnerie. Ou encore la « nomophobie », qui est le fait d’avoir peur de vivre sans smartphone. Justement, Catherine Lejealle revient sur ce terme très sérieux, élu mot de l’année par le dictionnaire Cambridge en 2018 : « c’est une vraie phobie, et non simplement oublier son portable le matin quand on peut retourner le chercher. Au-delà de l’outil, les gens se disent ‘je suis mort’. Il y a la peur de passer à côté de quelque chose, le besoin de rester informé et d’avoir l’information. »

 

Une prise de conscience ?

Aujourd’hui, il faut reconnaitre que le portable fonctionne comme un couteau suisse, puisqu’il sert à la fois à passer des appels, envoyer des messages, mais aussi à faire des photos, écouter de la musique, etc… Sans oublier le fait qu’il y a toujours plus de nouvelles applications, d’options, et donc, de notifications. Mais l’aspect positif, d’après Catherine Lejealle, c’est que l’on prend de plus en plus conscience de cette dépendance : « on ressent une vraie montée d’une fatigue, car tout cela est de la fragmentation d‘attention. On passe son temps à zapper d’un contenu à l’autre, il y a une vraie prise de conscience de la fatigue et de la surcharge cognitive, aussi bien au travail que dans la vie privée. On n’a même pas cinq minutes de liberté entre deux notifications, suggestions, réceptions. Et il y a des injonctions pour lesquelles on se sent obligé de répondre. »

Attention toutefois à ne pas confondre addiction – qui est un terme médical et qui concerne une minorité d’entre nous – et dépendance, touchant beaucoup plus de monde. « L’addiction n’est pas liée à un nombre d’heures spécifiques passées sur son smartphone. L’important est de savoir si on peut encore passer des moments avec des gens, ou bien même seuls, quand on n’a pas son portable. C’est être encore capable de faire des choses sans avoir immédiatement son téléphone à la main, et regarder ce qu’il s’y passe. C’est enfin être en immersion dans quelque chose », analyse l’auteure.

 

Désactiver une partie de nos notitications

Pour être un peu moins accroc, on peut déjà supprimer la plupart des notifications de nos applications, comme sur les réseaux sociaux par exemple. Cela peut nous éviter d’être dérangé très régulièrement pour des messages ou des informations qui n’en valent pas forcément la peine. « Dès qu’on désinstalle nos notifications, la journée est beaucoup plus calme », confirme la sociologue.

Cependant, Catherine Lejealle n’est pas favorable à des changements radicaux, comme, par exemple, se passer de portable toute la journée : « c’est comme un régime, on ne passe pas une journée sans rien manger. Le smartphone est un outil magnifique, pratique, qui rend service et fait gagner du temps, mais il y a des moments où je ne veux pas en être dépendant. Ce ne sont pas aux réseaux sociaux de décider de ce que je vais regarder, c’est à moi de choisir, de reprendre ce contrôle. »

En d’autres mots, il faudrait être actif, et non passif vis-à-vis de nos smartphones. C’est-à-dire choisir précisément ce que l’on veut regarder avant de prendre automatiquement notre portable lorsque « l’on ressent un vide », souligne la spécialiste. Et surtout, ne pas être dépendant de nos applications en faisant défiler pendant de longues minutes des contenus photos et vidéos. En conclusion, l’experte assure qu’on aurait tout à y gagner, en dressant un parallèle avec l’éducation des enfants : « on sait tous qu’il faut laisser du temps aux enfants pour l’imagination, les laisser dans leurs chambres, et non en permanence à enchainer les activités. Malheureusement on n’applique pas forcément cette logique à soi-même. L’esprit doit vagabonder, il faut avoir ces moments où on rêvasse, en nous remplissant avec des choses qui viennent de l’extérieur, et non imposées par des notifications, car on ne se laisse plus la possibilité d’avoir cette attention flottante, pourtant extrêmement créatrice et stimulante. »